Dans les mines de Potosí

Publié le 28 Janvier 2015

La ville la plus haute du monde, qu’ils disent. La plus riche et la plus peuplée aussi ; même si ça, ça fait belle lurette que ce n’est plus vrai. Bienvenue à Potosí, Eldorado des conquistadors espagnols perché sur l’altiplano bolivien, à plus de quatre mille mètres d’altitude.

La légende veut que ce soit en 1544 qu’un Inca à la recherche de son lama égaré découvre par hasard l’immense filon d’argent caché sous la montagne. La chaleur de son feu de camp aurait fait fondre le sol, libérant le précieux liquide brillant. Mouais… Toujours est-il que les colons espagnols ne tardèrent pas à en apprendre l’existence, et fondèrent l’année suivante la Villa Imperial, bientôt rebaptisée Potosí. L’exploitation minière commence.

Les conditions de travail sont alors terribles. Les esclaves indiens et africains restent sous terre pendant des mois, mangeant et dormant dans les galeries. Que ce soit par accident ou maladies dues à l’inhalation de vapeurs et poussières toxiques, la mortalité crève le plafond. On estime que pas moins de huit millions de travailleurs forcés perdirent la vie durant la période coloniale, de 1545 à 1825, jusqu’à ce que l’épuisement relatif du filon n’entraine l’inexorable déclin de la ville, désormais misérable.

Potosí
PotosíPotosí

Potosí

Aujourd’hui, bien que réduite, l’exploitation continue. Organisés en coopératives, les mineurs sont maintenant leurs propres patrons, mais les conditions de travail ne se sont guère améliorées. Malgré le danger dont tout le monde a bien conscience, l’espoir de tomber sur un bon filon et devenir millionnaire du jour au lendemain attire toujours nombre d’entre eux, et ce, dès le plus jeune âge – mon guide se rappelant avoir acheté son premier bâton de dynamite à l’âge de neuf ans.

Si je parle de guide, c’est parce que les mines en activité peuvent se visiter. J’ai passé quelques minutes à me demander si la chose était bien étique et pas trop voyeuriste, mais les locaux m’ont affirmé que les mineurs sont toujours heureux et fiers de montrer leur travail aux touristes – surtout parce qu’ils savent qu’on leur apporte systématiquement des petits cadeaux, comme des feuilles de coca ou des cigarettes – si bien que j’ai fini par me laisser tenter par l’aventure…

Même pas cinq minutes à l’intérieur et les vapeurs et poussières te font déjà cracher tes poumons. La chaleur et le manque d’oxygène lié à l’altitude rendant la respiration plus difficile, personne ne porte de masque. Résultat : la majorité des mineurs décède de silicose après une quinzaine d’années de labeur, avant d’avoir pu faire fortune, évidemment.

Les minesLes minesLes mines
Les minesLes minesLes mines
Les minesLes minesLes mines

Les mines

Il faut voir le boulot de con qu’ils se tapent, par dessus le marché. Casser de la caillasse toute la journée, ramper dans des conduits étroits et boueux, porter des centaines de kilos jusqu’à la sortie la plus proche… Faut vraiment vouloir. Mais comme le salaire d’un mineur débutant est près de trois fois supérieur au minimum légal dans le pays – soit un peu moins de quatre cent euros –, malgré les risques, le calcul est vite fait.

Le mineur travaille au rythme de la feuille de coca, au sens propre comme au figuré. En s’en gavant à longueur de journées, la faim et la fatigue sont largement réduites et la production s’en trouve d’autant boostée (par contre, là encore, l’état de santé n’est pas la priorité). Autre aspect pratique, comme le mineur n’a pas de montre et vit dans le noir total, il se fie à sa plante préférée pour lui donner l’heure. Lorsque le goût disparaît, il sait que ça fait environ quatre heures qu’il est au boulot et qu’il est temps de faire une pause, avant de s’en fourrer une nouvelle ration dans la bouche pour la session de l’après-midi. Astucieux.

Au delà de ça, on notera que le mineur est particulièrement superstitieux. Par exemple, les femmes sont interdites sous terre pour ne pas rendre jalouse Pacha Mama, la Terre-Mère. Mais surtout, on vénère avec ferveur le dieu des souterrains, le diable, el Tío (littéralement « l’oncle ») – dont la statue en argile borde l’une des galeries. Outre les dons de cigarettes et feuilles de coca, c’est l’alcool à quatre-vingt-seize pour cent que les travailleurs préfèrent lui offrir, ou plutôt s’offrir à eux-mêmes : « Je te nourris par ma bouche, Tío. » Pas cons les mecs, plutôt que de gaspiller, ils boivent en son honneur. Du coup, avant de mourir d’une saloperie des poumons, rares sont ceux qui ne finissent pas alcooliques à quinze ans et demi.

El Tío

El Tío

En un mot comme en cent, expérience fort intéressante que cette escapade souterraine. Par moments, ça m’aura un peu rappelé mon passage par les catacombes parisiennes l’année dernière, mais en un poil moins festif quand même.

Rédigé par Pierre

Publié dans #Bolivie

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J
Plus haute ou pas, Potosi impose son altitude surtout quand on débarque de Sucre. J'ai souvenir d'une première nuit plus que difficile. Les "délices" de l'acclimatation à la haute altitude.
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M
El Tio, coca, bruits d'explosifs, ... que de souvenirs ! Un lieu à l’atmosphère unique !
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J
Le Germinal bolivien... Ils sont courageux les gars !
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