Carnets de transat’ (deuxième partie)

Publié le 3 Juin 2015

Des Açores à Gibraltar

 

Jour 24. Samedi 23 mai 2015.

J’avais oublié ce que c’était qu’une vraie nuit de sommeil. Un petit dej’ à plat, une douche qui ne t’envoie pas valser aux murs pendant que tu te savonnes… Autant de petits bonheurs tous simples, et bien mérités. Là dessus, place aux activités un peu moins réjouissantes et cependant indispensables : nettoyage du bateau, plein de gasoil, lessive, courses et tout le tutti. La journée touche déjà à sa fin lorsque je prends enfin le temps de déambuler dans Horta, charmante petite ville blanche à l’architecture sobre et élégante, avant de retourner au Café Sport me jeter une dernière bière dans le gosier avec mes compères.

Rappelé en France par d’autres impératifs, Pascal nous quitte aujourd’hui, non sans avoir d’abord marqué notre passage à Faial en peignant sur le quai le logo de Wake Up, comme le veut la tradition. Nous finirons donc le périple à trois, et si l’on avait initialement prévu de passer une petite quinzaine de jours à visiter les Açores, il a finalement été décidé de remettre les voiles dès demain matin. Dommage, ça avait l’air magnifique par ici – même si la perspective de rentrer au pays vers la mi-juin n’est pas pour me déplaire.

Carnets de transat’ (deuxième partie)Carnets de transat’ (deuxième partie)Carnets de transat’ (deuxième partie)
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Jour 25. Dimanche 24 mai 2015.

Allez, c’est reparti pour un tour ! J’appréhendais un peu cette deuxième partie, craignant de perdre toute motivation une fois éprouvé le sentiment d’accomplissement en atteignant les Açores, mais en fait, non, je me surprends plein d’enthousiasme à l’idée de reprendre la mer. Il fait moche, mais au moins il y a du vent, ce qui était loin d’être gagné compte tenu de la pétole qui avait accompagnée notre arrivée. On devrait pouvoir avancer à bon rythme sans avoir à trop faire rugir le moteur.

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Jour 26. Lundi 25 mai 2015.

On a retrouvé l’Atlantique ! Après trois semaines à se balader tranquillement sur ce qui s’apparentait plus à un grand lac, on en était venu à se demander s’il existait vraiment, cet océan rageur dont on avait tant entendu parler. Donc la réponse est oui, il existe bel et bien, et il nous attendait simplement de l’autre coté de l’archipel. Trente nœuds de vent, des creux de plus de trois mètres… Ça bastonne dur et le bateau ne cesse de se fracasser bruyamment en franchissant péniblement chacune des vagues qui nous arrivent de face, douchant systématiquement quiconque s’aventure hors de la capote du rouf. Le moindre passage sur le trône relève implacablement de l’exercice de rodéo et cette gîte tribord rend toujours la cuisine aussi impossible, et le repos guère plus aisé.

Dans ce chaos maritime, ce qui devait arriver a ainsi logiquement fini par arriver. Voilà, c’est fait : mon premier vomi en mer. J’avais les dents du fond qui baignaient depuis un moment, c’était donc dans l’ordre des choses. Heureusement que Ronan et Thierry se sont gentiment proposés d’assurer mes quarts ce soir, je crois que je n’aurais pas tenu le coup.

Carnets de transat’ (deuxième partie)

Jour 27. Mardi 26 mai 2015.

Ça va beaucoup mieux, merci de t’être inquiété ! En remettant le nez dehors, j’ai même eu le plaisir d’apercevoir quelques dauphins et un cachalot soufflant un geyser d’embruns entre les vagues. Du déjà vu, dis-tu, blasé que tu es ? Alors écoute celle-là : un peu plus tard dans la journée, tandis que nous étions en train de finir notre repas, un grognement étrange nous fait soudainement tourner la tête vers l’arrière du bateau. Stupéfaits, nous découvrons là, juste à coté de nous, un aileron noir de près d’un mètre de haut dépassant de la surface ! Une orque ! Trois autres épaulards ne tarderont pas à sortir de l’eau de l’autre coté, avant de plonger définitivement, nous laissant bouche bée d’émerveillement.

Jour 28. Mercredi 27 mai 2015.

On a repris les quarts à trois et, en fin de compte, ça n’est pas aussi difficile que je le craignais. Comme on passe nos journées à dormir – faute d’avoir mieux à faire –, il n’est pas bien compliqué de rester éveillé à tour de rôle le temps que passe la nuit et revienne le soleil. Enfin, « soleil », façon de parler, hein, parce qu’il fait toujours aussi moche. Et froid par dessus le marché.

A part ça, le pilote automatique nous a fait des misères. Des claquements étranges et un peu inquiétants s’entendaient depuis un moment, si bien qu’il a fallu vider tout le coffre arrière pour que Ronan puisse aller voir ce qui s’y passait et procéder à sa réparation. Etant donné les conditions météo, je ne te raconte pas le bordel (même si pour le coup, moi, j’étais tranquillement au beau milieu d’une des siestes susmentionnées).

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Jour 29. Jeudi 28 mai 2015.

J’en ai plein le cul ! Après avoir écrit une première fois ces cinq petits mots vulgaires, je les avais effacés et remplacés par un « j’en ai ras-le-bol » plus politiquement correct. J’ai finalement dû me résigner à revenir à l’expression originelle, qui sonnait beaucoup plus juste compte tenu de mon état d’esprit actuel. Oui, je confirme, j’en ai plein le cul, et je ne suis d’ailleurs pas le seul. La mer est toujours aussi agitée, l’air froid, le ciel pluvieux et l’atmosphère sinistre. On est secoués au delà du raisonnable, et, à la longue, ça devient vraiment casse-couille – là encore, « casse-pied » aurait certainement fait l’affaire, mais non, vraiment, on en a gros.

Jour 30. Vendredi 29 mai 2015.

Bon, la mer s’est sensiblement calmée et le ciel éclairci, mais ça secoue toujours pas mal et l’ambiance reste quelque peu morose. J’ai encore souvent la tête qui tourne et commence sérieusement à avoir hâte d’arriver, au moins à Gibraltar. On est déjà redescendus jusqu’à hauteur du détroit et il faudrait maintenant que le vent s’incline un peu plus vers le nord pour nous permettre de maintenir le cap, sans quoi nous risquerions de nous retrouver rapidement sur la côte marocaine. Le cas échéant, vu le nombre de cargos qui passent toute la journée entre l’Atlantique et la Méditerranée, revenir coté espagnol pourrait s’avérer beaucoup plus délicat, comme traverser à pied une autoroute bondée… 

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Jour 31. Samedi 30 mai 2015.

Ça y est, les conditions météo se sont nettement améliorées, et du coup la bonne humeur est de retour. Le chef est en train de faire de la pâte, ce soir on fête le beau temps avec une pizza. Faut savoir se faire plaisir.

Carnets de transat’ (deuxième partie)

Jour 32. Dimanche 31 mai 2015.

L’accalmie aura été éphémère. Les conditions se sont déjà détériorées et une violente houle latérale nous fait à nouveau tanguer sévèrement. Néanmoins, je ne sais pas si c’est par ce qu’on a eu le temps bien se réamariner ou si ce répit de trente-six heures nous a permis de nous rebooster à fond – sans doute un peu les deux –, mais il semble que nous soyons moins affectés par la reprise des hostilités. En fait, nous sommes plutôt déjà concentrés sur notre arrivée à Gibraltar, qui promet d’être plus délicate que prévue.

Nous venons en effet d’apprendre qu’on attend une dégradation encore pire au niveau du détroit d’ici à ce qu’on l’atteigne, avec des rafales de vent à quarante-cinq nœuds. Si la houle venait à augmenter proportionnellement, nous ne parviendrions certainement pas à passer le mur de vagues qui risquerait de se former, même au moteur et toutes voiles rentrées. Après un long conciliabule et de savants calculs, nous avons décidé d’optimiser nos chances en ne fonçant pas tout droit tel que nous étions partis pour le faire, mais en obliquant vers le nord afin de rejoindre la côte aux environs de Cadiz, pour nous protéger des vents forts de sortie de détroit. De là, nous devrions pouvoir longer la côte sans trop de problème jusqu’à Tarifa, en espérant trouver une fenêtre suffisamment clémente pour nous laisser passer…

Carnets de transat’ (deuxième partie)

Jour 33. Lundi 1er juin 2015.

Si l’on a pu régulièrement repérer quelques cargos et pétroliers par-ci par-là durant le reste de la traversée, on en croise infiniment plus depuis que l’on approche de Gibraltar. Ils sont tellement grands qu’on n’a pas de mal à localiser ceux qui s’approchent le plus, mais heureusement que l’on peut également suivre leur position GPS sur l’ordinateur, ce qui nous permet d’évaluer assez tôt lesquels sont susceptibles de représenter un risque de collision. On a déjà décrété que lorsqu’on pénètrera dans le détroit, l’un de nous restera posté en permanence devant le PC pour suivre la circulation. On n’est jamais trop prudent.

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Jour 34. Mardi 2 juin 2015.

On aura finalement dû la traverser quand même, l’autoroute. Le chenal de navigation marchande obliquant vers le nord en sortie de détroit, pas le choix que de passer au travers pour rejoindre la côte. Il aura fallu presque toute la nuit pour parvenir de l’autre côté, en prenant soin d’éviter une bonne quinzaine de bâtiments, dans un sens puis dans l’autre. Vigilance accrue, donc, mais pas de stress outre mesure. Malgré l’omniprésence de navires autour de nous, les distances restent grandes et avec un peu d’anticipation, il n’aura pas été si compliqué de les contourner, d’autant qu’eux-mêmes se montrent souvent magnanimes en daignant également dévier leur trajectoire si besoin – alors que leur taille leur assure pourtant la priorité face à nous.

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Jour 35. Mercredi 3 juin 2015.

Il est 4h20, le jour va bientôt se lever. J’ai pu dormir la première partie de la nuit, malgré le vent de force 9 et les vagues à contre qui nous font décoller toutes les dix secondes depuis hier soir. Ça fait maintenant deux heures que je campe devant l’écran, suivant notre course pour guider Ronan le long de la côte. On s’apprête à contourner le caillou de Tarifa, porte d’entrée du détroit, là où on devrait manger encore pire puisque le goulot se resserre et que l’on ne sera plus du tout protégés par le rivage. Après s’être reposé un peu à son tour, Thierry nous a rejoint. Les hostilités peuvent commencer.

Ça y est, nous voilà entrés, à la merci des éléments. Sauf que… rien. Miracle, le temps semble plus calme ici ! Le vent dépasse encore les quarante nœuds mais on ne cogne plus sur la houle, seul véritable problème qui aurait pu nous forcer à rebrousser chemin. Non, là, les minutes passent et le vent ne se semble que s’affaiblir de plus en plus. Voilà déjà la baie de Gibraltar qui se profile devant nous. C’est donc officiel, on vient de traverser l’Atlantique de part en part ! On va prendre la journée pour se reposer, remettre le bateau en état et aller se goinfrer des tapas dont on rêve depuis une semaine, puis demain, à nous la Méditerranée pour la dernière partie du voyage !

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Rédigé par Pierre

Publié dans #Transat

Commenter cet article
M
De retour du Portugal... on vous a aperçus au large sur Wake Up ;-)<br /> Tes récits sont passionnants, tout comme ceux transmis par le capitaine, on s'y croirait... même si on n'aurait pas le cran d'être à ta (votre) place !! Bonne nav, rentre bien. Bises aux marins ! A très bientôt :-)
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P
J'ai pensé à vous en passant au large :)
J
Bon c'est bien beau tout ça mais c'est quand que tu reviens au pays de la knack ????
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P
Dispo le 17 juin si tu veux m'organiser une petite bouffe de retour ;)
B
Salut Pierre<br /> J'ai pris ton blog en cours de route ( mais j'ai tout lu depuis disons que je suis resté scotché dessus )<br /> et depuis j'attends avec impatience la suite <br /> De biens beaux récits et photos <br /> @+
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P
Salut Bertrand, merci de me suivre aussi assidûment alors ! La suite bientôt, mais aussi la fin, dans peu de temps, malheureusement... A+
M
Ils sont partis depuis des semaines, les cales sont pleines de trésors et de rhum. Et ce matin-là, par bonne brise, le Wake Up vogue grand large tribord amures, lorsque soudain, du pont retenti un cri : « Tonnerre de Brest ! A bâbord moussaillons. Tout le monde sur le pont, branle-bas de combat…. » Allez Pierre raconte nous la suite !
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P
Le fanion rouge... Le sang se glace chez tous les capitaines de navire qui voient ce fanion, car ils savent qu'il livreront un combat à mort. Mais le chevalier est un Haddock, et les Haddock jamais ne fuient. "Allez, montre-toi, sale chien de Rackham ! Si c'est un combat que tu veux, tu vas trouver ton maitre !"
O
Ouf! on commençait à avoir le mal de mer avec toi!!! Heureux que tu sois arrivé à bon port sain et sauf. Honnêtement; serais-tu prêt à le refaire une deuxième fois? ... Merci pour ce partage somme toute très impressionnant ;)
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P
Honnêtement, non, car ça n'aurait aucun intérêt. Une transat' retour c'est un défi, rien de plus. Une fois, ça suffit amplement. Par contre un autre trip en bateau, ouais ça pourrait être cool !
L
Merci pierre je me régale quand je lis ton blog <br /> Rendez vous au large de Carnon pour votre arrivée <br /> Bonne nav
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P
Merci à toi pour le compliment. On se voit à Carnon avec plaisir.